Dévoiler, reconnaître et lutter contre la discrimination à l’embauche : des enjeux de société

Texte écrit pour le 2e bulletin de la Chaire de recherche sur l’intégration et la gestion des diversités en emploi (CRIDE).

Trop souvent, les élites politiques québécoises tendent à instrumentaliser les enjeux liés au racisme et à la discrimination plutôt qu’à imaginer comment fédérer les gens dans une lutte commune. Est-on raciste ou non ? Cette question nous mène directement dans un cul-de-sac. Tant la problématique que la réalité sont plus nuancées que cette formulation le sous-entend. Et quoi que notre premier ministre pense du choix et de l’utilisation d’un certain qualificatif pour traiter de ces enjeux, certains problèmes sociaux sont indéniables et exigent des changements.

Depuis une dizaine d’années, des recherches scientifiques fondées sur la méthode semi-expérimentale du testing sont menées pour étudier la discrimination à l’embauche au Québec. Fonctionnant avec des offres d’emploi réelles et des CV fictifs, construits par les chercheuses et les chercheurs, ce dispositif permet d’isoler la variable étudiée (ex. l’origine ethnique), fournir des statistiques probantes et révéler cet obstacle structurel, invisible à l’oeil nu. Souvent décrié par les militants et les travailleurs des milieux communautaires, ce problème persistant nuit à la cohésion de la société québécoise, et particulièrement à l’insertion en emploi des personnes immigrantes, appartenant aux minorités dites visibles ou racisées, en situation de handicap, etc.

À Montréal, la première étude de ce type a révélé que les Québécois d’origine africaine (signalant la catégorie « noire »), arabe et latino-américaine étaient discriminés à l’embauche. À l’inverse, un candidat majoritaire (ou de référence) – c’est-à-dire un homme « blanc » au nom à consonance franco-québécoise – avait jusqu’à 65 % plus de chance de se faire inviter à l’étape de l’entrevue (Eid et coll. 2012). Chaque candidat avait des compétences équivalentes sur son CV. Seuls les noms véhiculant les origines ethniques étaient distincts. Dans la région de la Capitale-Nationale, un autre testing a montré que les candidates d’origine maghrébine avaient deux fois moins de chance d’accéder à l’entrevue pour un poste de secrétaire que les Franco-Québécoises (Brière 2015). Dans une étude similaire, effectuée simultanément à Montréal et à Québec, les personnes en situation de handicap étaient aussi discriminées environ une fois sur deux à cette étape initiale du processus d’embauche (Bellemare et coll. 2018).

Les résultats discutés ci-dessous proviennent de ma recherche doctorale, menée dans la région métropolitaine de Québec, avec des CV fictifs et des noms véhiculant les origines ethniques à l’étude. L’analyse des données issues du prétest a montré que les candidates et les candidats d’origine maghrébine, respectivement Fatima El Alaoui et Mohamed Hassane, ont eu en moyenne deux fois moins de réponses positives que le dénommé Mathieu Roy dans l’accès aux emplois très qualifiés dans le secteur de l’administration (Beauregard, 2020).

Par ailleurs, le préjudice était plus significatif pour les postes de professionnels en ressources humaines : le candidat majoritaire avait alors près de quatre fois plus de chance de se faire inviter en entrevue. L’année suivante, le testing principal a généré l’envoi de plus de 1 500 CV en réponse à quelque 500 offres d’emploi en administration et en informatique (Beauregard, 2020). Les ratios calculés à partir des taux de rappel (pourcentage d’invitations à l’entrevue) permettent d’inférer précisément l’ampleur de la discrimination observée. D’emblée, les Latino-Québécois semblent peu discriminés. Par rapport à Marc-Olivier Tremblay (36,3 %), Maria Martinez (35 %) n’a pas été discriminée de façon significative. Bien que Carlos Sanchez (25,9 %) ait eu un taux plus faible, il n’a pas été discriminé pour les emplois en informatique. Les indicateurs des Arabo-Québécois et des Afro-Québécois étaient toutefois plus faibles. Outre les candidates Latifa Ben Saïd (22,7 %) et Aminata Traoré (20,0 %), la signification des taux observés pour Abdellah Hafid (17,4 %) et Mamadou Traoré (11,9 %) était claire : ces candidats ont été largement discriminés. En général, ils ont reçu jusqu’à deux ou trois fois moins d’invitations en entrevue que Marc-Olivier, et ce, à compétences égales. Qui plus est, l’analyse a indiqué que la stigmatisation du candidat « noir » était persistante même auprès d’employeurs qui affirmaient, en principe, adhérer volontairement à l’idée de l’équité en matière d’emploi.

Au même titre que le racisme, l’islamophobie, le profilage racial et d’autres formes de stigmatisation telles celles vécues par les personnes en situation de handicap ou lesbiennes, gaies, bisexuelles et trans, la discrimination à l’embauche nuit à l’inclusion de toutes les catégories de personnes au sein de la société québécoise. Qui plus est, il s’agit sans doute d’un portrait conservateur qui se dégage de mes recherches. En effet, dans les CV utilisés, tous les candidats minoritaires étaient bilingues, avaient été scolarisés et socialisés au Québec depuis au moins une douzaine d’années. Seuls leurs noms évoquaient une origine ethnique autre que celle du groupe majoritaire, mais c’est justement la perception négative de ce symbole clé de leur identité qui semble poser problème chez les employeurs. Une récente recherche menée en milieu contrôlé a montré que l’exclusion des candidats maghrébins se faisait surtout lors du tri des CV. Or, lorsque ces derniers parviennent à l’étape de l’entretien, leur probabilité d’être embauché devient équivalente à celle du candidat majoritaire (Boudarbat et Montmarquette 2020). Cela étant dit, qu’attendons-nous pour reconnaître collectivement le problème de la discrimination à l’embauche et nous y attaquer de façon pragmatique ?

Les recommandations du Groupe d’action gouvernemental contre le racisme seront-elles accompagnées d’une réelle volonté politique de changer les choses ? Chose certaine, il serait vain d’attendre après les actions gouvernementales pour entreprendre la création d’un contexte de tolérance zéro envers la discrimination. Au contraire, cette responsabilité sociale est partagée entre les dirigeants d’entreprises, les gestionnaires des ressources humaines, les chercheurs, les consultants, les OSBL, les groupes de pression, etc. Au-delà de l’enjeu spécifique de la discrimination à l’embauche de certaines catégories de personnes, s’engager dans cette lutte sociale vise globalement à favoriser un recrutement plus équitable, diversifié et inclusif.


Références
Beauregard, J.-P. (2020). Les frontières invisibles de l’embauche des Québécois minoritaires : hiérarchie ethnique, effet modérateur du genre féminin et discrimination systémique. Dévoiler la barrière à l’emploi par un testing à Québec. Thèse de doctorat. Université Laval.

Bellemare, C., Goussé, M., Lacroix, G. et Marchand, S. (2018). « Physical Disability and Labor Market Discrimination: Evidence from a Field Experiment ». CIRANO.

Boudarbat, B. et C. Montmarquette (2020). « Y a-t-il discrimination à l’embauche des jeunes Maghrébins au Québec ? Résultats d’une expérience contrôlée à Montréal ». CIRANO.

Brière, S. (2015). Discrimination à l'embauche des candidats d'origine maghrébine dans la région de la Capitale-Nationale. Mémoire de maîtrise. Université Laval.

Eid, P., Azzaria, M. et M. Quérat. (2012). Mesurer la discrimination à l’embauche subie par les minorités racisées : résultats d'un « testing » mené dans le grand Montréal. Montréal : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

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